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Interview de Bernard Thibault pour le journal l’Humanité

Après l’intervention de Dominique de Villepin, Bernard Thibault a immédiatement appelé à une journée de mobilisation le 21 juin prochain. Entretien avec le secrétaire général de la Cgt. « °Où on courbe l’échine ou on confirme notre désaccord° »

Pourquoi en appeler si rapidement à la rue° ?

Bernard Thibault. C’est la situation qui nécessite de nouvelles mobilisations. Le débat qui a animé la campagne référendaire sur la constitution européenne, puis le résultat du vote ont considérablement accru les responsabilités syndicales. Les questions sociales sont au c ??ur des attentes mais aussi des critiques. Le soir du scrutin, en exigeant d’accentuer les politiques libérales, le Président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, annonçait la couleur. Les syndicats se devaient, si possible dans un cadre unitaire, de porter les revendications. Nous avons invité les autres syndicats à discuter ensemble, ils ont préféré des rencontres en bilatérales. Ceci est en cours. Si nous partageons certaines opinions, nous ne ressentons pas la même nécessité de continuer à exercer la pression pour mettre à l’ordre du jour les revendications des salariés et non celles du Medef.

Vous partez donc tout seul° ?

Un élément décisif vient de s’ajouter à ce tableau. Dans un contexte de crise, le gouvernement Villepin, pourtant déjà impopulaire, choisit de réformer par ordonnances. Et il va le faire pendant l’été. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget, vient de l’annoncer. Tout doit être bouclé pour le 1er septembre. Dès lors il n’y a que deux alternatives. Où on courbe l’échine ou on confirme notre désaccord. Nous choisissons la seconde solution, en appelant les salariés à se mobiliser le 21 juin, jour de rendez-vous de négociation avec le Medef pour la reconnaissance de la pénibilité du travail. Nous voulons porter un double message° : dire au gouvernement qu’il est à coté de la plaque et continuer à revendiquer sur l’emploi, les salaires et les droits sociaux.

Dominique de Villepin chiffre l’effort entrepris pour l’emploi à 4, 5 milliards d’euros. Cela vous paraît-il insuffisant° ?

Parlons en, justement. Il s’agit d’une enveloppe de 4 milliards d’euros d’aides financières pour les employeurs, qui s’ajoutent aux 20 milliards déjà acquis. Ces montants ont été multipliés par dix en dix ans. Pendant cette période, le chômage et la précarité du travail ont augmenté dans les mêmes proportions. Le gouvernement continue et amplifie des recettes coûteuses pour la nation, qui n’ont en aucun cas fait la preuve de leur pertinence au service de l’emploi.

« °Plus de flexibilité, moins de sécurité° », vous partagez cet avis concernant les mesures sur l’emploi ° ?

Certainement. Le Premier ministre touche à des aspects essentiels du droit du travail. La période d’essai de deux ans, instaurée avec le « °contrat nouvelle embauche° », signifie qu’un salarié pourra être licencié sans justification pendant tout ce temps. Il devient plus corvéable et encore plus dépendant de son employeur. Dans les TPE, les salaires sont déjà plus bas de 20°% que dans les grandes entreprises, le droit du travail et les conventions collectives y sont moins respectés et moins contrôlés. Le « °contrat nouvelle embauche° » ne fait qu’accroître ces différences.

Ne craignez-vous pas un ballon d’essai qui pourrait s’appliquer plus tard à tous les salariés° ?

Dès que le patronat obtient une dérogation, il s’efforce de la généraliser. Les précédents sont nombreux. Le travail du dimanche était au départ réservé pour les magasins des zones touristiques et maintenant il s’étend. Le travail de nuit était à été justifié par des impératifs de production et aujourd’hui, il se généralise. On pourrait faire la même démonstration avec les temps d’astreintes ou de gardes. La mesure Villepin ne va pas manquer d’inspirer d’autres projets pour que l’exception devienne la règle. Ce nouveau contrat de travail ouvre un processus qui peut aboutir à la fin du CDI. Il n’est qu’un habillage destiné à rendre la précarité permanente.

Est-ce la mesure qui vous semble la plus dangereuse° ?

Avec celle du « °chèque emploi° ». Sous couvert de faciliter les opérations d’embauche, Le Premier ministre veut autoriser le recrutement des salariés à la tâche. Alors là, on en revient à plus d’un siècle de droit social, quand les ouvriers se rendaient place de grève pour se vendre à des employeurs à la journée. Jeunes et chômeurs seront poursuivis s’ils n’acceptent pas les activités ou emplois « raisonnables ».

On a par contre peut entendu Dominique de Villepin sur les salaires...

Sauf pour faire de la publicité mensongère sur l’augmentation du SMIC, une décision qui date de deux et nous est revendue pour la troisième fois. J’avais pourtant prévenu le Premier ministre qu’il ne fallait plus mentir à ce sujet. Il a quand même laissé à penser que le bulletin de paie des smicards va bondir de 5°%. C’est absolument faux. Il vend la hausse du SMIC horaire qui est une conséquence du passage de 39 à 35h et ne change rien sur la feuille de paie.

Ce refus de d’aborder la question du pouvoir d’achat, pourtant omniprésent dans les mouvements sociaux, rend-il caduc le rendez-vous sur les salaires Gérard Larcher aujourd’hui° ?

Pas du tout. Ce rendez-vous a été obtenu par la mobilisation du 10 mars et après que Raffarin ait joué la montre. La phase d’examen du niveau des minima garantis dans les branches professionnelles est achevée. Nous attendons maintenant des actes. Le gouvernement doit jouer son rôle pour imposer une modification des salaires pratiqués dans les branches.

La Cgt a demandé l’ouverture d’une grande négociation sociale sur les choix structurants de l’économie. Légiférer par ordonnances y coupe court° ?

La méthode arrêtée est totalement inacceptable. On ne peut pas reconnaître le très fort mécontentement social et continuer de procéder par autoritarisme. Le gouvernement dispose de deux assemblées parlementaires à son service, mais cela ne lui suffit même plus. Il passe en force durant l’été et c’est un choix lourd de conséquence. Nous avons été reçus lundi à Matignon. Dominique de Villepin ne nous a rien dévoilé des ses intentions. Nous avons réitéré nos demandes de rencontres déjà formulées sur la politique industrielle, les délocalisations ou sur les choix budgétaires. Nous avons demandé le temps de discuter avec les organisations syndicales sur des axes susceptibles de répondre à la crise sociale. La réponse est cinglante. Aucun rendez-vous sur aucun sujet n’est accepté et on procède par ordonnance. Après ce qui s’est passé dans la rue et les urnes c’est un choix politique à haut risque.

A propos des urnes, le sommet européen des chefs d’Etat se profile le 16 juin et juste avant la réunion du comité exécutif de Confédération européenne des syndicats. Comment abordez-vous ce rendez-vous° ?

Après le vote en France et aux Pas bas, des interrogations se font jour dans d’autres pays. Le projet européen est en crise. La réunion de la CES sera l’occasion d’analyser la situation. Nous avons besoin d’expliquer quelles ont été les motivations réelles du vote des salariés, notamment sur l’idée qu’il ne s’agit pas d’un rejet de l’Europe mais d’un besoin d’Europe sociale. Même si la CES a soutenu le traité, elle prévient depuis longtemps qu’une Europe construite sans adhésion suffisante des citoyens s’expose aux critiques. Cela se vérifie aujourd’hui. Il va falloir prendre le temps de réfléchir entre responsables syndicaux pour définir le type d’initiative que nous devons prendre.

Entretien réalisé par Paule Masson

Entretien reproduit avec l’aimable autorisation du journal l’Humanité. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.

Article publié le 14 juin 2005.


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